Irlande du Nord : la blessure qui jamais ne guérit

Axel Azoulay, Maxence Salendre, traduit par Maxence Salendre
19 Juillet 2013



Les violentes émeutes survenues en Irlande du Nord lors de la marche des Orangistes (manifestation protestante annuelle en soutien au Royaume-Uni) nous rappellent que les nouvelles blessures s'ouvrent sur les vieilles cicatrices. Suivez le Journal International à travers le labyrinthe politique d’Irlande du Nord.


Crédits photo -- Peter Muhly/AFP
Crédits photo -- Peter Muhly/AFP
Du 12 au 15 juillet, de violentes émeutes ont secoué Belfast et d’autres villes d’Irlande du Nord. Des voitures ont été brûlées, des maisons endommagées et un député protestant a été blessé. L'élément déclencheur de ces émeutes ? La marche des Orangistes. Chaque année, le 12 juillet, les membres d’une organisation appelée « l’Ordre d’Orange » se rassemblent pour défiler dans les rues du pays. Ce mouvement, à la fois protestant et unioniste, c’est-à-dire en faveur du maintien d’un lien étroit avec le Royaume-Uni, s’oppose fermement aux nationalistes irlandais catholiques.

Bien que chaque année les deux groupes s’opposent, les associations de quartier dénoncent une hausse des actes violents ces dernières années. Sinn Féin, le parti nationaliste irlandais mené par Gerry Adams et favorable à une Irlande républicaine, dénonce des actes commis « par des jeunes qui cherchent à s’occuper pendant des vacances ennuyantes ». Mary O’Hara, du Guardian, relève que les quartiers les plus concernés par ces troubles sont aussi les plus affectés par la baisse du niveau de vie, relative à la crise économique. Cependant, ces explications ne suffisent pas à expliquer ces évènements. Comme c’est souvent le cas en politique, des opinions divergentes relèvent souvent d’oppositions historiques.

William d’Orange et l’origine des émeutes

Tout a commencé par une victoire militaire. Le 12 juillet 1690, William d’Orange (ou William III) défait l’armée du roi catholique James VII lors de la bataille de la Boyne. William d'Orange assure sa place sur le trône du Royaume-Uni de Grande-Bretagne, d’Écosse et d’Irlande. Cet évènement peut sembler n’être qu’une énième guerre civile, mais ses conséquences sont d’une importance cruciale. C'est cette bataille qui a permis le maintien d’un roi protestant à la tête de ces trois pays.

Dans le cas de l’Irlande, les conséquences sont directes pour la majorité des catholiques du pays. C’est ainsi que s'expliquent les conflits incessants entre l’Ordre d’Orange et les catholiques irlandais. L’Ordre a pris le nom de William pour rappeler leur respect envers la couronne britannique et la foi protestante. D'un autre côté, les catholiques irlandais, en faveur d’une réunification avec la République d’Irlande au sud, s'opposent à toute relation avec le Royaume-Uni et désapprouvent totalement cet Ordre. Au départ politiques, les troubles en Irlande du Nord ont pris une tournure différente lorsque ces oppositions idéologiques se sont cristallisées en guerre de religion.

Tout essai de résolution du conflit de manière pacifique est très difficile

Du côté des unionistes, le Parti Unioniste d’Ulster (UUP – protestant) a pendant longtemps géré la province avant que son homologue conservateur, le Parti Démocratique Unioniste (DUP – protestant), qui défend des positions économiques et sociales conservatrices (notamment sur l’avortement ou la peine capitale) ne prenne la main à grand renfort de subventions d’État pour sa base électorale composée d’agriculteurs et d’ouvriers. Du côté nationaliste et malgré la chute de son bras armé l’IRA, le parti catholique nationaliste Sinn Féin a supplanté le Parti Travailliste et Social Démocrate (SDLP), plus modéré et qui s’est longtemps opposé à toute forme de violence politique.

Les discussions entre le Sinn Féin et le DUP sont longtemps restées au point mort, chaque parti campant sur ses positions. En 1997-1998, suite aux efforts combinés de Tony Blair et de Bertie Ahern, à l’accord du Vendredi Saint et à l’acte de dévolution par lequel des pouvoirs politiques régionaux ont été transférés de Londres à Belfast, chaque camp a dû mettre de l’eau dans son vin. Les deux leaders, Ian Paisley (DUP) et Gerry Adams (Sinn Féin), ont appris à collaborer pour fournir une gouvernance stable à l’Ulster. Les premières années, tandis que les SDLP et l’UUP s’entendaient sur la gestion des affaires provinciales, les deux partis aussi extrêmes que sont le DUP et le Sinn Féin ont été contenus. Cependant, leurs victoires électorales successives menacent une coalition politique encore faible.

C’est à ce moment que l’IRA et l’Ordre d’Orange entrent en action. Qu’ils s'opposent la domination britannique lors du G8 pour l’IRA ou s’opposent à la décision législative d’enlever le drapeau britannique du fronton de la mairie de Belfast, les troubles en Irlande du Nord restent d’actualité.

La guerre de religion, l’imbroglio politique et la crise

À cet imbroglio politico-religieux, il convient d’ajouter l’impact de la crise économique. La hausse de la pauvreté dans certaines régions d’Irlande du Nord n’a fait qu’attiser la haine et alimenter la montée des partis les plus extrêmes tels le Sinn Féin et le DUP. Ces positions politiques minent la coalition actuelle et la gouvernance, par un gouvernement nord-Irlandais de l’Ulster. La population reste donc divisée entre protestants et catholiques, nationalistes et unionistes.

Seule lueur d’espoir dans cette grisaille, la nouvelle génération qui semble plus déterminée à mettre un terme aux différends politico-religieux qu'à suivre le chemin de leurs aînés. Rejoindre la République est l’une des solutions proposées, mais ni Belfast ni Dublin, endettés et englués dans leur gestion de la crise, ne semblent être prêts à franchir le cap. Les accords de 1997-1998 avaient permis de mettre en place une gouvernance de coalition, mais la hausse de la pauvreté, la baisse du niveau de vie lié à la crise et aux faiblesses d’une économie trop dépendante du Royaume-Uni ont, de nouveau, transformé l’Irlande du Nord en un cocktail explosif.

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